Le Premier Homme d’Albert Camus

"Construire des spectacles qui rassemblent littérature et musique est un puzzle complexe. La musique permet de créer tour à tour une jonction, une respiration ou une rupture entre les textes. La musique me semble être l’art le plus éloigné du sens concret. Elle n’utilise aucun signifant, elle ne représente rien d’objectif comme le fait la peinture ou la sculpture. La musique exprime, à travers une perception, un climat toujours suggéré, un discours toujours subjectif, aussi fort et puissant soit-il. C’est une « résonance » du texte qui guide mes choix musicaux. Il me semble que la musique ne doit jamais commenter mais entraîner l’autre à faire le spectacle avec nous. Comment amener une communion entre ceux qui le font et ceux qui y assistent, construire un univers qui unisse et rassemble les deux parts. Chacun peut faire avec art, ou ressentir avec art le monde qui l’entoure et sa propre vie. Le spectateur est en action, dès lors qu’on le place au bon endroit d’exigence artistique. Donner à voir, ce n’est pas la même chose que montrer. Je pratique beaucoup un théâtre du vide, qui laisse la place à l’autre. C’est une mission politique et poétique.

Le choix des textes est essentiel dans la dynamique du projet, il s’agit de mettre en évidence la façon dont peut naître le désir. Entendre et découvrir un texte, c’est apprendre ce que peut-être la légèreté d’un alexandrin. Ce qui compte c’est le phrasé, le rythme du texte. Des textes pour « mettre les gens en éveil ». Je veux offrir au public quelque chose de très exigeant dans les mots qui lui sont donnés, qui raconte quelque chose d’essentiel. Et, la langue, c’est ce qui nous fédère.

Ce sont en tout cas des humains qui ont fait ce travail d’écriture pour nous et avant nous. La création est la plus grande des résistances, elle trace un chemin qui n’est pas celui de la productivité mais de ce temps de contemplation où se forgent des humains non inhumains, capables de s’élever, de symboliser, d’imaginer. Il s’agit pour moi de réhabiliter cet état d’oisiveté apparente, ce temps très cher, qu’ils ont su prendre, pour s’ouvrir au rêve, à la poésie qui est pour moi le ferment de tous les arts."

Robin Renucci