Contes Fantastiques

Comme ses personnages, Maupassant, en se regardant dans une glace, découvre parfois, au lieu de son reflet, le vide. Comme eux, il a, certains matins, au réveil, l’impression que quelqu’un a bu, la nuit, l’eau de sa carafe. Comme eux, il sent la présence à ses cotés d’un être invisible « qui peut toucher aux choses, les prendre et les changer de place, doué par conséquent d’une nature matérielle bien qu’imperceptible à nos sens ». Comme eux enfin, il voit dans le suicide la seule issue possible à la dégradation de l’individu.
Et c’est parce qu’il a conscience de cette étrange parenté entre les personnages de ses nouvelles et l’homme sain qui les rédigé qu’il se défend, avec de larges rires, de s’être le moins du monde impliqué dans leur écriture.
Certains soirs, aux dires de son valet de chambre, il baisse la flamme de sa lampe, et, dans la pénombre, avec un peigne très fin qu’il a rapporté d’Italie, attaque, à rebrousse poils, la fourrure de sa chatte. Elle se crispe, se tord, miaule de plaisir et d’agacement, et Maupassant, s’amuse à regarder les « lueurs phosphorescentes » qui jaillissent sous sa caresse. Il me semble à ses moments là, qu’il entre en contact avec l’envers du monde, qu’il est lui-même un félin.
Henri Troyat, Les textes de Maupassant : La folie, La tombe, Suicides, Moiron.